DOSSIER
Aux commandes de l’Auberge du Chalet-des-Enfants, Romano Hasenauer apprend depuis quatre ans à composer avec les fruits et légumes produits dans le potager aménagé à deux pas des cuisines. Un pari qui réserve son lot de surprises et de découvertes.
© DOM SMAZ
DU POTAGER À L’ASSIETTE!
Le patron de l’Auberge du Chalet-des-Enfants, sur les hauts de Lausanne, a mis en place un jardin potager en permaculture. Le chef y récolte, le matin même, les légumes proposés à midi. Un défi, tant pour l’équipe de cuisine que pour les jardiniers. Reportage.
C’est une parenthèse champêtre au cœur des bois du Jorat, une bâtisse qui, sous ses airs d’ermitage isolé, n’est qu’à un jet de pierre de la ville. C’est comme si elle était là depuis toujours, posée au milieu de cette clairière où paissent les vaches dès les beaux jours. Et c’est un peu le cas: le Chalet-des-Enfants existe depuis plus de six siècles. Il y a quatre ans, l’établissement a fait un pas de plus pour renouer avec son passé en aménageant un jardin potager à quelques mètres de la terrasse si prisée des citadins. À quelques mètres, aussi, de sa cuisine, destination des fruits, légumes et fleurs comestibles qui poussent sur ces 400m2 de terre.
L’ULTRALOCAL POUR SEULE RELIGION
«J’ai toujours eu la volonté de travailler au plus direct, raconte le patron de ce restaurant pas comme les autres, Romano Hasenauer. Mon rêve, c’est de revenir à l’agriculture telle qu’on la pratiquait autour de cette auberge, d’être capable de se réapproprier ce savoir-faire. Avec pour finalité de réduire au minimum les intermédiaires entre producteurs et clients.» L’aventure démarre grâce au soutien financier de la ville de Lausanne, propriétaire des lieux. Ce sera un potager cultivé en biodynamie et selon les principes de la permaculture.
Ici, des buttes dessinent des courbes harmonieuses. Là, d’autres cultures en carré, un compost ou six ruches produisant chaque année plus de 100 kg de miel. Les légumes sont, autant que possible, issus de variétés d’antan et locales. Il y a la betterave noire de Lausanne ou le céleri de Corseaux, la reine des reinettes ou le topinambour. «Des variétés abandonnées parce que leur rendement n’était pas suffisant, mais qui ont un goût à tomber par terre, sourit l’horticulteur Daniel Meister, qui entretient, avec son épouse Jacqueline, ce potager idéal. Nous faisons nos plantons nous-mêmes et récoltons nos semences. C’est le meilleur moyen d’obtenir des plantes résistantes et adaptées à leur environnement.»
UNE AUTRE VISION DU PRODUIT
Récolter le matin même les légumes que l’on va proposer à la carte de midi, voilà qui peut sonner comme un rêve pour un chef. Mais composer un menu pour mettre à l’honneur les produits du potager n’est pas chose aisée. Ainsi la cuisine doit-elle, lors de la première année du jardin, s’accomoder à un déferlement de pâtissons. «Nous avons dû rivaliser d’inventivité pour élaborer des recettes avec ces petites cucurbitacées, souffle Romano Hasenauer. Cela nous a vite mis dans le bain: cultiver son propre jardin, c’est la promesse de surprises.»
Chaque jour, le potager met au défi l’équipe de cuisine. Car lorsqu’une salade ou une framboise est à maturité, il faut la servir sans attendre. «Le plus important, c’est de savoir s’adapter, d’un côté comme de l’autre, dit Romano Hasenauer. En cuisine, on fait avec ce que nous fournit le potager, et au jardin on essaie de répondre aux besoins du chef. C’est une réinvention perpétuelle, une remise en question de tous les jours. Et c’est passionnant!» Salade en été, soupe et choucroute maison en hiver, ou encore un risotto dont les saveurs varient en fonction des herbes aromatiques du moment, les plats simples laissent s’exprimer la saveur toute particulière des légumes du jardin.
Bien sûr, les 400m2 du potager ne suffisent pas à couvrir les besoins du restaurant, qui se fournit pour le reste auprès de maraîchers et d’éleveurs de la région. «Mais on n’aborde pas de la même manière une carotte que l’on vient d’extraire de la terre qu’un légume livré dans une caisse en plastique, souligne Romano Hasenauer. On réfléchit à deux fois avant de jeter les fanes, ou de la peler.» Pas d’allégeance à la tendance du «zéro déchet», mais un simple bon sens, qui vaut aux clients comme aux jardiniers de faire de belles découvertes gustatives: «Pour moi, la betterave rouge s’était toujours limitée à une racine que l’on consomme en salade, raconte Daniel Meister. Avec l’équipe de cuisine, j’ai appris que l’on pouvait aussi manger ses feuilles!» Et s’il reste quelques épluchures, elles retourneront au potager après un passage au compost: «On boucle la boucle, sourit le jardinier. Avec l’expérience, j’ai compris que si l’on veut préserver un équilibre, on doit rendre à la terre ce qu’on lui prend.» Ainsi, dans le potager du Chalet-des-Enfants, nulle trace d’engrais. Tout au plus quelques passages au purin d’ortie pour donner un coup de pouce aux courgettes et aux concombres. Quant aux pesticides, ils sont eux aussi ultralocaux: les coccinelles se chargent des pucerons, les chouettes et les faucons crécerelles des campagnols.
Richement fleuri dès les premiers jours du printemps, le potager du Chalet-des-Enfants ne manque pas d’attirer l’attention des clients et des promeneurs. «Un jardin suscite l’échange, dit Daniel Meister. Les gens poussent le portail et posent des questions. Ils sont surpris du nombre de fleurs que l’on peut utiliser pour agrémenter des salades ou créer des tisanes.» Au chapitre des nouveautés, le potager s’est enrichi de 12 arbres fruitiers issus – faut-il le préciser? – de variétés anciennes, et de petits fruits. Voilà qui présage de beaux desserts pour la saison à venir…
CLÉMENT GRANDJEAN
Dès les beaux jours, légumes, salades, fruits, herbes aromatiques et fleurs comestibles, tous cultivés en permaculture, sont intégrés à la carte du restaurant dans des plats simples et colorés qui sont autant de clins d’œil aux traditions culinaires romandes.