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LOCARNO ET SES VALLÉES


AU-DELÀ DES PALMIERS, LA MONTAGNE


La troisième ville du Tessin a toujours entretenu un lien étroit avec ses vallées septentrionales. Préservées d’un développement touristique effréné, riches de culture autant que de traditions, elles offrent un dépaysement inattendu et, surtout, de belles rencontres avec leurs habitants.

Fin septembre. L’automne en pente douce au Tessin. Les arbres se colorent de nuances jaunes et orangées. Dans les vallées qui dominent Locarno, le paysage est d’une beauté renversante. À Sonogno, tout au bout du Val Verzasca, les feuilles mortes recouvrent partiellement le sol de la terrasse du grotto Efra. Le village est connu notamment pour la magnifique cascade Froda, qui fait passer les promeneurs par ce restaurant où l’on a immédiatement envie de s’attabler. Luca Prat, le gérant, est en train de souffler sur les braises qui rougeoient dans la cheminée. Posée directement sur les bûches calcinées, une énorme marmite prédit que, ce midi, nous mangerons une bonne polenta au feu de bois. Reflétant la philosophie du maître des lieux, la carte est aussi courte que les ingrédients sont locaux. Le maïs vient de la plaine de Magadino, à côté de Locarno, la truite marinée à l’huile et au vinaigre a été pêchée dans une pisciculture voisine, la viande est fournie par des éleveurs de la vallée, de même que les fromages et les charcuteries – ici, on dit «chilometro zero» pour qualifier les denrées vendues dans leur zone de production.

Luca Prat,

gérant du grotto Efra, Sonogno

Luca Prat a grandi à quelques kilomètres de ce grotto que son oncle a géré pendant vingt ans. Très attaché à son Val Verzasca natal, il aime aussi partir sac au dos pour découvrir de nouvelles contrées. Après avoir passé plusieurs hivers à voyager en Amérique du Sud, il a eu un coup de cœur pour le Mexique, où il se réjouit de pouvoir retourner.

Comme la majorité des grotti tessinois, celui de Sonogno ferme l’hiver. «Traditionnellement, ces constructions rudimentaires servaient à garder au frais les aliments. Par la suite, ce sont devenus des endroits où l’on pouvait se restaurer simplement de plats souvent froids, et ce uniquement durant l’été.» Luca est ici comme à la maison. «Mon oncle l’a tenu pendant vingt ans. Construit en 1943, c’était le premier grotto de la vallée. Il a fait l’objet de rénovations et d’agrandissements, mais il a gardé l’esprit d’antan.» Originaire de Brione, à moins de dix kilomètres, Luca l’a repris il y a six ans, après avoir fait l’école hôtelière puis travaillé comme maçon durant trois ans, «pour apprendre à faire quelque chose de mes mains». Ce rythme particulier lui convient. Avec deux services par jour, six jours sur sept, les saisons sont intenses. Celle-ci a filé comme les précédentes et le compte à rebours avant la fermeture, fin octobre, a commencé. Luca en profitera alors pour conjuguer voyage et navigation, ses deux grandes passions. «Mon père avait la sclérose en plaques et, comme il rêvait de naviguer sans pouvoir le faire lui-même, il m’a offert une formation pour devenir instructeur de voile», confie-t-il. Quelques traversées de l’Atlantique plus tard, le Tessinois est devenu un navigateur aguerri, qui convoie régulièrement des bateaux d’un bout à l’autre de l’océan pour le compte de privés.

DES FROMAGES QUI VALENT DE L’OR

Du lointain, le vent nous apporte le son d’une cloche. «Lorsque je tends mes filets de nuit, je me repère à l’église du Sentier», dit Yves Meylan en désignant le village qui, dans la timide lumière de l’aube, semble à portée de main. Et c’est comme s’il l’était, dans cette vallée aux airs de miniature où l’on passe en quelques centaines de mètres des plages aux sommets. Ici, on distingue l’imposant complexe d’une fabrique horlogère. Là, c’est une trouée aménagée entre les sapins pour les skieurs. Et de l’autre côté, cette tache plus claire, grand rectangle d’herbe gagné sur la forêt par des générations d’agriculteurs, c’est l’alpage des Plainoz. Quarante-cinq hectares de pâturage où paissent quelques dizaines de vaches à la belle saison. Pour Évelyne Meylan-Aubert et Hans Bernhard, qui partagent leur temps entre leur ferme du Lieu, où ils élèvent des poules pondeuses et des vaches laitières, et les Plainoz, c’est un peu le paradis sur terre. Elle a toujours voulu être paysanne, et a repris seule l’exploitation familiale il y a trois décennies. Lui a grandi dans le canton de Berne, a bourlingué comme vacher et comme installateur de machines de traite avant de se poser sur l’alpage qui jouxte celui d’Évelyne. La suite sonne comme une évidence, bien que la légendaire rudesse des Combiers ne facilite pas la tâche au nouvel arrivant: «Plus on monte vers la Vallée, et plus les gens sont réservés, ajoute le Bernois sur le ton de l’humour. Mais si vous êtes patient, ils s’ouvrent!»

Gloria et Lorenzo Schärer,

paysans de montagne, Brione Verzasca

Quand ces deux éducateurs ont annoncé à leurs proches leur intention de se lancer dans l’élevage de chèvres, beaucoup ont pensé que c’était une folie. Mais le temps leur a donné raison, avec de nombreuses médailles glanées aux concours récompensant les meilleurs fromages de la région.

Sur la montagne aux doux reliefs, le couple d’agriculteurs joue les porte-parole d’un monde paysan en constante évolution en misant sur l’agritourisme. Nuits sur la paille, vacances à la ferme, brunches champêtres et accueil de classes ou de groupes, ils ne ménagent pas leurs efforts. «J’ai toujours aimé recevoir du monde, sourit Hans Bernhard. C’est un plaisir de voir avec quelle fascination les enfants observent les vaches.» Un désir de partager des valeurs simples mais essentielles. Et quand un visiteur leur demande si la vie n’est pas trop dure, sur cet alpage isolé, la réponse ne se fait pas attendre: «Ici, on n’a pas tout, mais on a tout ce qu’il faut.»

UN VILLAGE DANS LE CIEL

En traçant une ligne sur la carte, Bosco Gurin n’est qu’à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau de Brione. Mais en réalité, à moins de franchir à pied les montagnes abruptes qui les séparent, ce sont 75 kilomètres de route qu’il faut parcourir. L’architecture, très différente, frappe d’emblée le regard quand on arrive à destination. «Ce sont les Walser, un peuple de montagnards nomades venus du Haut-Valais, qui l’ont fondé au XIIIe siècle, nous explique Alberto Tomamichel. Le syndic nous accueille devant la maison de commune, installée dans les locaux de l’école primaire fermée depuis 2002. En sa compagnie, nous visitons le village qui peut s’enorgueillir d’être, à 1503 mètres d’altitude, le plus haut du Tessin. Nous passons devant des bâtisses historiques, parfaitement conservées, construites le plus souvent sur un soubassement de pierre. Au fil des siècles, les habitants sont restés fidèles à leurs traditions et à leur langue. Le gurijnartitsch, cet étrange dialecte alémanique local, y est encore parlé au quotidien. Si Bosco Gurin est animé durant l’été, principalement en raison d’un afflux de vacanciers venus passer du temps dans leurs résidences secondaires et de touristes, seuls 40 habitants y vivent à l’année. «Tout le monde se connaît, on se retrouve le dimanche à la messe ou au restaurant pour bavarder et jouer aux cartes. Nous avons une belle qualité de vie, mais l’hiver, c’est plus difficile. Tout se fige, il fait froid. D’ailleurs, du 10 novembre au 25 janvier environ, on ne voit pas le soleil.» Notre interlocuteur sourit alors que nous passons devant la plus petite Coop de Suisse. De la taille d’un mouchoir de poche, on y trouve quantité d’articles exotiques pour un hôte de passage, de l’antilimace aux peaux de lapin, en passant par les cicitt, ces saucissons de viande de chèvre à consommer grillés.

Alberto Tomamichel,

syndic, Bosco Gurin

Alberto Tomamichel a passé toute sa vie à Bosco Gurin, le plus haut village habité du Tessin. L’architecture des maisons visibles en arrière-plan porte la marque caractéristique des Walser, un peuple nomade haut-valaisan qui a colonisé diverses régions des Alpes au Moyen Âge. Les habitants parlent encore le gurijnartitsch, un dialecte alémanique aux accents très particuliers.

Nous arrivons près d’une église autour de laquelle s’alignent des maisons plus coquettes les unes que les autres, avec leurs potagers parfaitement entretenus. Plus bas, on aperçoit une ferme devant laquelle paissent quelques vaches. Il reste encore trois paysans, dont Alberto, qui possède lui aussi son troupeau. «Le village s’étendait là autrefois, mais à cause des avalanches, il a dû être déplacé sur la colline. En 1951, ma grand-mère était à l’étable quand l’une d’elles a fondu sur le bâtiment. Heureusement, il ne lui est rien arrivé.» À la limite de l’ancien village, la forêt a petit à petit repris ses droits sur les pâturages. Avec la ferme, seul le musée local, qui ne pouvait être démonté en raison de son âge vénérable, est resté dans cette cuvette naturelle. La dendrochronologie a permis d’établir qu’il datait de 1236, ce qui en fait le plus ancien bâtiment de Bosco Gurin! Il présente des objets et des photographies de la vie d’antan, qui donnent une bonne idée des peines que les habitants ont dû avoir pour cultiver la terre à l’aide d’outils rudimentaires et emmagasiner de quoi tenir l’hiver.

QUAND LE TERROIR INSPIRE L’ART

Pierre Casè a 75 ans. Cette vie difficile dans les vallées au-dessus de Locarno, l’artiste sculpteur, célèbre au-delà des frontières helvétiques, l’a bien connue. Nous le rencontrons dans son atelier à Maggia, dans la vallée du même nom, où il vit depuis 1976. Installés sur des tabourets bringuebalants, nous l’écoutons dérouler le fil de son histoire. «Je suis né à Locarno. Mon père était menuisier et pompier volontaire. Il est mort dans un incendie quand j’avais 8 ans.» Pour subvenir aux besoins de la famille, sa mère, costumière de métier, cumule deux emplois. Autant dire que, très vite, le jeune Pierre Casè comprend que pour obtenir quelque chose, il faut se battre. Son rêve est d’entrer à l’Académie des beaux-arts de Brera, en Italie. Il se confie à sa mère. «Deux jours plus tard, elle m’a répondu que nous n’avions pas assez d’argent.» Il poursuit dans sa voie, mais en autodidacte, enchaînant les petits boulots – il sera tour à tour glacier, vendeur de marrons ou encore décorateur de vitrines. À 20 ans, il montre pour la première fois ses œuvres dans une galerie. C’est le point de départ d’une carrière artistique brillante qui le verra exposer dans le monde entier, mais aussi diriger pendant onze ans la pinacothèque de la Casa Rusca, un musée de peinture réputé de Locarno.

Pierre Casè,

artiste, Maggia

Pierre Casè est connu pour ses sculptures monumentales semblables à celle qui occupait son atelier au moment de notre visite. Dans son travail, il aime employer des matériaux devenus obsolètes et rappeler ainsi leurs fonctions autant que le savoir-faire de ceux – souvent des paysans – qui les utilisaient.

Son inspiration, il la puise dans ce qui l’entoure. «La nature, d’abord, avec laquelle j’ai développé une connexion étroite, précise le sculpteur. Celle du Val Maggia, qu’elle soit forêt, fleuve ou montagne, lui parle autant que le monde agricole et animal qui s’y rattache. Je veux montrer le territoire dans lequel je vis. Pour cela, j’utilise des formes simples et archaïques.» Désignant la monumentale sculpture qui occupe un coin de son atelier, il détaille: «Le noir sert à rappeler que dans notre maison, on allumait toujours le feu au milieu de la pièce. Il y avait de la fumée partout. Le métal, on l’utilisait pour clôturer le poulailler. Il cuisait au soleil, rouillait sous la pluie, jusqu’à obtenir cette texture burinée par le temps. Vous voyez ce fil barbelé? Pour moi, il symbolise notre époque, qui nous enferme pour toutes sortes de raisons. Celui-ci est large, il date de la Première Guerre mondiale. Il est d’une solidité à toute épreuve. Je suis fasciné par ces objets du passé et plus encore par le savoir-faire paysan, tellement astucieux.» Récemment, Pierre Casè s’est lancé dans la fabrication d’une série d’ex-voto, des objets que l’on dépose dans les églises ou les chapelles en guise de remerciement à la suite de l’accomplissement d’un vœu. Pour l’artiste, c’est une manière de rappeler l’importance des services rendus par ces objets devenus obsolètes dans un monde où le neuf remplace le neuf et où la réparation est plus souvent l’exception que la norme. L’un d’eux est un simple clou de bois, utilisé pour briser des blocs de granit de plusieurs tonnes destinés à la construction en comptant pour cela sur… l’action du gel!

LE LAC MAJEUR, CE COFFRE-FORT

Les montagnes des vallées qui dominent Locarno, Walter Branca les admire tous les jours, mais depuis son bateau. À l’arrière de sa boutique de Vira Gambarogno, au bord du lac Majeur, le pêcheur est occupé à frire des filets de gardon, une espèce méconnue qu’il aime faire découvrir à ses clients. «C’est ça le vrai défi, philosophe ce solide gaillard au physique de héros de film d’action. Il y a moins de poissons dans nos lacs, il faut donc valoriser aussi ceux que l’on considère comme moins nobles.» Nous reprenons la conversation attablés au bistrot voisin. La pêche? Il est tombé dedans alors qu’il n’était pas plus haut que trois pommes. «J’ai commencé à la crèche. Dès l’âge de 5 ans, j’accompagnais mon oncle, qui pêchait au filet. Je voyais toutes ces truites alignées sur le plan de travail et cela me faisait rêver. Avec lui, j’ai commencé à faire de belles prises, essuyé mes premières tempêtes.» À 9 ans, son père lui achète un bateau avec un petit moteur de 4 chevaux. «Je pêchais après l’école et pendant toute la durée des vacances, été comme hiver.» La communauté des pêcheurs était alors plus grande. Les anciens racontaient aux jeunes anecdotes et souvenirs. «Il y avait une véritable transmission orale du savoir. Les prévisions météo n’existaient pas. Il fallait apprendre à lire les signes dans le ciel et dans la nature.»

Walter Branca,

pêcheur, Vira Gambarogno

Des pêcheurs comme lui, il n’y en a plus beaucoup sur le lac Majeur. Walter Branca est tombé dans la marmite quand il était enfant. Durant la belle saison, il sort quasiment tous les jours pour relever ses filets, quelles que soient les conditions. L’automne lui offre un répit bienvenu qui lui laisse le temps de profiter de la beauté de la nature.

Aujourd’hui, le métier n’est pratiqué de façon professionnelle que par une poignée d’irréductibles, la plupart âgés de plus de 70 ans. «Les autres pêchent à côté de leur travail, mais, faute de temps, ils vendent leurs prises aux grossistes sans les apprêter. De mon point de vue, cette approche appauvrit nos lacs, qui subissent déjà les effets du réchauffement climatique. Il faut faire attention à ne pas prélever plus que les intérêts sur notre capital.» Les hivers ayant tendance à s’allonger, la poussée du plancton est retardée, ce qui signifie qu’il y a moins de nourriture disponible et donc moins de poissons. Mais ce n’est pas la baisse des prises qui préoccupe le plus Walter Branca. Ce qu’il redoute vraiment, ce sont les épisodes météorologiques extrêmes. «Par expérience, je sais qu’il n’y a rien à craindre des orages, en revanche quand des grêlons gros comme le poing tombent du ciel, cela peut vous tuer.» Même si Locarno est la ville la plus ensoleillée de Suisse, il n’y fait pas toujours un temps de carte postale. Après une saison d’été intense et peu de sommeil, Walter va pouvoir souffler. «Jusqu’en octobre, je sors mettre mes filets à l’eau à 17 heures et je retourne les relever, de 23 h à 3 heures environ. En hiver, c’est plus tranquille, je ne sors pas forcément tous les jours.»

 

TEXTE: ALEXANDER ZELENKA

PHOTOS: ALESSIO PIZZICANNELLA