Sierre et Anniviers

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SIERRE ET ANNIVIERS
UNE CONNIVENCE INSCRITE DANS L’HISTOIRE


La Cité du Soleil et la vallée perchée entre 1300 et 2200m d’altitude ont bien plus en commun qu’on ne l’imagine. Découverte d’un remuant passé qui a modelé les esprits et la géographie des lieux.

Sierre et Anniviers, «Sierre-Anniviers», avec un trait d’union? A priori, la route entre les deux lieux, avec ses épingles et ses à-pics, semble propre à les séparer plutôt qu’à les apparier. Quant aux parchets urbains caractéristiques de la ville, qui s’écoulent entre routes et maisons jusqu’à la gare, ils ruissellent des vignes voisines de Venthône, de Miège ou de Veyras – pas de cet Anniviers invisible du bas, à l’accès opacifié par la forêt et une pente décourageante.
Et lorsqu’il s’agit de quitter Sierre pour prendre de la hauteur, la ligne de funiculaire reliant les rues commerçantes à la station de Crans-Montana, 900 mètres plus haut, semble s’imposer: douze minutes chrono de trajet, même pas besoin de chercher une place assise.
Bref, de prime abord, on peine à comprendre pourquoi ce n’est pas avec ses voisins du flanc nord, et non avec ce monde perdu malplat et inaccessible, que la «Cité du soleil» a noué ses contacts les plus étroits.
C’est pourtant bien le cas. En fait, «contacts» n’est pas le mot juste. Disons plutôt un lien familial, un ADN commun – une relation symbiotique ancrée dans le passé et le mode de vie des Anniviards. Car durant des siècles, ceux-ci ont passé plusieurs mois par an à Sierre, dans une transhumance épuisante et vitale, qui n’a pris fin que vers le milieu du siècle passé (faisant d’eux, au passage, les derniers nomades des Alpes). De quoi laisser des empreintes dans la topographie aussi bien que dans les traditions et les esprits.

Avril 2017, Jean Claude Pont © sedrik nemeth

Jean-Claude Pont

Cette figure de Sierre a vécu une enfance marquée par les allers et retours entre la plaine et la montagne. Ce mode de vie traditionnel lui a donné l’idée de créer la course Sierre-Zinal.

LA TRANSHUMANCE A MARQUÉ LA RÉGION

«À Sierre, on dit que pour être président de la ville, il faut être Anniviard», rapporte, un brin goguenard, le chef ­de cuisine étoilé Didier de Courten, ressortissant de Sierre, lié à Anniviers par sa grand-mère maternelle native de Saint-Luc, et depuis une décennie «habitant du week-end» de la vallée. «L’Anniviard est chez lui à Sierre, alors qu’on ne peut dire la même chose d’un Évolénard à Sion, ou d’un Orsiéran à Martigny», note pour sa part un autre «Sierro-Anniviard», le mathématicien et philosophe Jean-Claude Pont. Cette figure de renom de la ville a vécu une enfance marquée par la transhumance – de Zinal à Sierre, et de Sierre à Zinal, ce qui d’ailleurs allait lui donner l’idée d’une course pédestre célèbre dans le monde entier, devenue l’archétype des trails modernes. Celui qui a également été guide de montagne durant ses jeunes années raconte, dans des mémoires qu’on souhaite voir publiés un jour: «Le centre de gravité de l’existence des Anniviards se trouvait dans l’un des villages de la haute vallée, entre 1300 et 2000 mètres. Ils passaient également quelque trois mois par année en plaine, à Sierre. Ils y avaient des biens: prés, vignes, habitations, et ils descendaient sporadiquement pour diverses activités. Les Anniviards possédaient tous, en outre, un troisième logis, le plus souvent dans des lieux situés au-dessus du village principal. C’étaient les mayens où ils avaient des demeures précaires, qui les hébergeaient deux à trois mois par an, accompagnés de leur bétail.»
Cette transhumance pluriannuelle porte un nom: le remuage. Bien choisi: du village à la plaine, puis de la plaine au village, puis du village aux alpages, puis à nouveau au village… Des villages entiers se déplaçaient ainsi avec bagages, gamins, curé et instituteur, formant des files lourdement équipées sur les sentiers muletiers, croisant des voisins et des connaissances faisant le chemin en sens inverse. «Un contact permanent entre un monde fermé et un monde ouvert», résume Jean-Claude Pont. C’était aussi le passage du vertical à l’horizontal. Car à Anniviers, la disposition naturelle du terrain, c’est la pente – forte, en général. On y reviendra.

Niouc, le 4 avril, Vincent Courtine, directeur de l'office de tourisme de Sierre © sedrik nemeth

Vincent Courtine

«Encore de nos jours, les liens perdurent entre la ville et la vallée, au moins au niveau familial, observe le directeur de l’Office du tourisme Sierre-Anniviers. À Sierre, il n’y a jamais eu de centre-ville historique à proprement parler. La ville résulte de l’amalgame de plusieurs entités et de leur mise en réseau, et c’est ce qui fait son charme.»

UN REMUAGE ENCORE BIEN PRÉSENT

Le remuage est encore très présent dans la topographie sierroise. Car les villages en transhumance se regroupaient par quartiers, recréant en bas les affinités villageoises du haut. C’est ainsi que les gens de Saint-Luc se retrouvaient à Muraz-Est ou à Glarey, ceux de Chandolin à Muraz-Ouest mais aussi à Niouc et jusqu’à Chippis, ceux de Grimentz et de Vissoie à Villa – comme une partie des habitants de Mission, l’autre se regroupant à Borzuat avec leurs voisins d’Ayer. Saint-Jean colonisait la Tservetta, et Pinsec et le hameau de Mayoux s’arrêtaient aux contreforts de Sierre, à Noës.
«Encore de nos jours, les liens perdurent, au moins au niveau familial, observe Vincent Courtine, directeur de l’Office du tourisme Sierre-Anniviers. À Sierre, il n’y a jamais eu de centre-ville historique à proprement parler. La ville résulte de l’amalgame de plusieurs entités et de leur mise en réseau, et c’est ce qui fait son charme.»
Dans la vallée aussi, le remuage a laissé des témoignages visibles. Beaucoup de caves anniviardes abritent ainsi encore un tonneau de vin du glacier: une fois les vendanges terminées en plaine, les vignerons à temps partiel remontaient leur vin à peine fait et le versaient dans un tonneau contenant encore les restes du millésime précédent, selon le système de la «solera».
Mais les traces les plus durables de la transhumance sont plutôt à chercher dans la personnalité de ses habitants – portés à la solidarité tout autant qu’à la taquinerie. «C’est rare qu’un peuple soit contraint à transhumer pour survivre, observe Didier de Courten. Ça a marqué l’identité des gens.»
Il est sans doute une autre dimension liée au remuage propre à avoir modelé l’esprit anniviard: cette universelle verticalité qui supprime tout horizon entre les deux pôles de la vallée, le vaste espace rhodanien en bas et la plaine de la Lé à Zinal. Pour voir le ciel, la nuit, il faut renverser la tête en arrière! Une œillade qui donne le vertige, mais qui en vaut la peine, tant la limpidité de l’air et le peu d’éclairage parasite rendent spectaculaire la vue des étoiles et de la Voie lactée. De quoi inciter Jean-Claude Pont, lui-même passionné d’astronomie, à imaginer, avec l’astrophysicien Georges Meynet, deux des plus grandes réussites touristiques d’Anniviers: le sentier des Planètes, et l’Observatoire François-Xavier-­Bagnoud – tous deux à Tignousa, au-dessus de Saint-Luc. Mais revenons sur Terre, du moins entre ciel et sol.

Didier de Courten

Pour le chef étoilé du Terminus et multiple vainqueur de Sierre-Zinal, qui possède aussi quelques vaches, «le tourisme ne tient pas seulement à des infrastructures, mais aux gens qui ont façonné cette vallée et son paysage. Mettre en valeur le savoir-faire qui est à l’origine des produits locaux, rendre leur mérite aux artisans, là est notre devoir de cuisiniers».

LA ROUTE MÉNAGE SES EFFETS

En Anniviers, les chalets ne sont pas construits, ils sont accrochés. La pente, par endroits, se fait falaise, et la route s’y cramponne. Non goudronnée et dépourvue de remblai jusqu’aux années cinquante, celle de Niouc a fait son lot de victimes – et reste aujourd’hui encore impressionnante à emprunter. Les transhumants, eux, n’avaient pas le choix, à moins de grimper (ou de dévaler) vaillamment la décourageante pente entre Sierre et Chandolin, quelque deux kilomètres au zénith.
Cette route, d’ailleurs, contribue aujourd’hui à l’attrait de la vallée. Pratiquement invisible de la plaine, celle-ci se laisse découvrir, petit à petit, au gré de ses sinuosités. «À la sortie de Niouc, on aperçoit pour la première fois les sommets surplombant Zinal; à droite, les villages de Fang et Pinsec semblent dégringoler dans la Navizence, dépeint Jean-Claude Pont. Plus haut, vers Ayer, on a la plus belle vue sur le Rothorn de Zinal, l’Obergabelhorn et la Dent-Blanche. Faire une pause sur la route s’impose.»
L’industrialisation de la région sierroise, incitant les familles à s’y sédentariser en profitant d’un emploi à l’usine d’aluminium ouverte dès le début du XXe siècle à Chippis, a mis fin au remuage. Mais dès les années 1860, l’essor du tourisme alpin avait commencé à modifier durablement les structures économiques et sociales d’Anniviers.
«Mes grands-parents exploitaient deux bazars à Zinal, où ils vendaient tout ce qui était nécessaire aux alpinistes, fréquemment des Anglais, se souvient Jean-Claude Pont. Le tourisme a fait venir des devises à l’intérieur de la vallée, et entraîné la construction d’hôtels.»

Anne-Françoise Buchs

Anniviarde par sa mère, la directrice du Bella Tola & Saint-Luc est revenue s’établir dans la vallée lorsqu’elle et son mari ont racheté l’hôtel. «Les Anniviards sont crocheurs, fonceurs, et s’engagent sans compter. Mais pour les gens de l’extérieur, ce n’est pas facile de se faire accepter, d’entrer en contact».

UNE RESSOURCE VITALE À PÉRENNISER

Parmi les premiers à mériter pleinement ce nom, l’hôtel Weisshorn, 600 mètres au-dessus de Saint-Luc, a inspiré l’auteur de bandes dessinées Jacques Martin qui en a fait le repaire d’un «loup» que le détective Lefranc finira par débusquer. Quant au Bella Tola, à Saint-Luc, il est devenu depuis son rachat par ses actuels directeurs Françoise et Claude Buchs-Favre l’un des plus beaux hôtels historiques de Suisse.
Le tourisme et les activités de montagne, hiver comme été, sont désormais les principales ressources de la vallée. La région est de fait au centre du plus beau terrain de jeu dont puissent rêver les grimpeurs aguerris comme les randonneurs plus placides: cette fameuse «couronne impériale», les Cinq 4000 (l’expression est de Jean-Claude Pont), soit le Weisshorn, le Rothorn de Zinal, l’Obergabelhorn, la Dent-Blanche et le Cervin, visibles (rarement en même temps) en amont de Zinal. «À Zermatt, il n’ont que le Cervin», s’amuse Didier de Courten, qui a entrepris récemment d’escalader ces sommets mythiques.
Mais les paysages de rêve sont légion dans la vallée et aux alentours. Le barrage de Moiry et les eaux turquoise de son lac, au-dessus de Grimentz; les moraines désolées (de loin seulement, la flore alpine y étant aussi prospère que la faune) du massif séparant Anniviers du val de Tourtemagne; Orzival et Sorebois, entre Zinal et Grimentz. Et l’hiver, les stations anniviardes peuvent compter sur un enneigement quasi garanti en raison de leur haute altitude.
«L’hôtellerie et le tourisme sont les colonnes vertébrales économiques de la vallée, et son futur est lié aux infrastructures mises en place et aux remontées mécaniques», juge Anne-Françoise Buchs, l’hôtelière du Bella Tola. «Il faut tabler sur les composantes pérennes du tourisme, miser sur le ski, l’alpinisme, la balade, pour un tourisme doux axé sur la famille et l’environnement», renchérit Jean-Claude Pont. En bas, dans la cité cousine, on mise aussi sur un avenir touristique, mais les atouts mis en valeur sont différents.
À commencer par le vin: on est au cœur de la plus grande AOC de Suisse, Coteaux-de-Sierre, et les conditions climatiques idéales de la région, la grande variété de cépages indigènes qui s’y trouvent bien et la diversité des terroirs en font le creuset de grands vins. Le constat vaut aussi pour les appellations voisines, soit dit en passant.

«La région compte pléthore de grands encaveurs, Sierre abrite l’association Vinea qui y développe des événements œnologiques de dimension mondiale, et à Salquenen, juste à côté, il y a le Musée valaisan de la vigne et du vin, énumère Vincent Courtine, le directeur de l’Office du tourisme. Nous avons mis en place une stratégie sur plusieurs axes pour fédérer plus efficacement cette offre unique, et la valoriser par l’œnotourisme. En développant des offres de séjour à thème, des dégustations, des clubs avec avantages aux membres. La gastronomie régionale recèle aussi un grand potentiel, grâce à des produits exceptionnels et à des gens comme Didier de Courten.»

 

DE MAGNIFIQUES PRODUITS À VALORISER

«Il y a un savoir-faire très fort dans l’agriculture locale, approuve le chef doublement étoilé. Mettre en valeur ces produits locaux est une fierté, et aussi notre devoir, en tant que cuisiniers. Il faut aller plus loin: identifier ces produits par le nom de leur artisan, comme on le fait pour le vin, de façon à leur rendre la part qu’ils méritent.»
Après des générations de nomadisme agricole, la vallée et son camp de base sierrois vivent ainsi leur premier siècle de tourisme sédentaire. Mais les liens tissés entre les villages et la ville perdurent, et les valeurs sur lesquelles cette société particulière a construit son identité sont toujours là, formant le capital le plus précieux de la région. Personne plus que Courten, le «remuant» chef de Sierre passant la moitié de sa vie dans la vallée, multiple vainqueur de Sierre-­Zinal, n’en est plus conscient. «Il faut s’imprégner du fait que le tourisme ne tient pas seulement à des infrastructures, mais aux gens qui ont façonné cette vallée et son paysage», conclut-il.

 

BLAISE GUIGNARD