ÉVASION
RANDONNER DEUX JOURS
Randonner sur deux jours garantit une moisson d’impressions, de bonheurs divers et de souvenirs bien plus volumineuse qu’on ne le pense, et qui feront petit à petit surface une fois rentré. Un peu comme ces affaires si bien pliées au fond du sac qu’on avait oublié les avoir emportées… En deux jours, le sentiment d’évasion est particulièrement fort, car le but fait partie d’un horizon encore lointain – celui du lendemain.
À l’aventure du chemin parcouru s’ajoute celle d’une nuitée en cours de route, avec sa propre dynamique, euphorisante et typique: les derniers kilomètres à parcourir, l’arrivée, la douche bienfaisante, le repas en commun et le passage en revue de la journée, le sommeil qui semble remplir le corps fourbu en commençant par les jambes…
Et le lendemain, le paradoxal bonheur qu’il y a à remettre en branle avec succès des muscles endoloris, l’élan du départ – et à nouveau l’immersion dans le rythme hypnotique de la marche: autant de moments forts, à vivre seul, à deux ou à plusieurs.
En Suisse, il existe une foule d’itinéraires balisés segmentés en deux étapes ou plus; les voies de randonnée sillonnant le pays du nord au sud et d’est en ouest sont répertoriées et décrites par le menu sur le site web de l’association Swiss Mobile, y compris les adresses pour passer la nuit et les correspondances des transports publics – un partenaire indispensable, les randonnées sur deux jours formant rarement une boucle où l’on retrouve son point de départ. Nous vous proposons de tester votre endurance – et surtout de vous faire plaisir – sur deux segments du chemin des Crêtes du Jura.
6) DE NOIRAIGUE (NE) À SAINTE-CROIX (VD)
DEUX ÉTAPES SUR LE CHEMIN DES CRÊTES DU JURA
Créé dès 1905 déjà, le chemin des Crêtes du Jura part de Dielsdorf, non loin de Zurich, et se termine à Nyon (VD). Soit un total de 320km et un dénivelé positif cumulé de 13’700m! On peut le parcourir dans son ensemble en seize étapes, au prix d’un bel engagement physique. Mais la plupart des randonneurs en sélectionnent deux ou trois au gré de leurs envies. Sur la partie romande de l’itinéraire, les deux segments reliant Noiraigue, dans le canton de Neuchâtel, aux Rochats, dans celui de Vaud, puis les Rochats à Sainte-Croix (VD) font figure de classique parmi les classiques. Et pour cause: la première journée emmène les randonneurs en haut du Creux-du-Van et de son panorama à couper le souffle, tandis que la seconde leur offre le Chasseron et sa vue unique sur la plaine et les Alpes au loin. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de balcon du Jura pour évoquer ces crêtes aériennes et leurs pâturages comme suspendus en plein ciel.
Peu après le bourg de Noiraigue, niché sur les bords de l’Areuse, le chemin débute de façon plutôt sportive, avec le fameux sentier des 14-Contours: un zigzag étroit parmi les racines des sapins, par lequel on rejoint le plateau du Creux-du-Van, 370 mètres plus haut. Ce Grand Canyon helvétique à la flore riche et variée est classé réserve naturelle; la région abritait autrefois des ours, mais il n’est pas rare d’y observer de nos jours des chamois et même des bouquetins. Cet ongulé à l’origine plutôt habitué au biotope alpin a été introduit dans la contrée il y a un peu plus d’un demi-siècle; on en trouve aujourd’hui une colonie d’une vingtaine d’individus, peu farouches comme l’est leur espèce. Mais s’il vaut la peine de se munir de jumelles pour observer ce cirque alpin aux proportions uniques et ses habitants, mieux vaut ne pas trop s’approcher du bord… et penser à ne pas s’attarder plus que de raison. Après tout, le chemin est encore long. À travers pâturages et lapias, on passera à proximité de nombreux chalets d’alpage avant de redescendre en douceur vers la combe et le hameau des Rochats. Le coin servait autrefois de place de tir; aujourd’hui, les seuls brodequins à arpenter ces beaux pâturages boisés sont ceux des promeneurs. Situé sur la commune de Provence, le restaurant homonyme fait le plein de familles et de retraités venant passer un dimanche aussi vert que gourmand; mais grâce à ses deux dortoirs bien équipés d’une capacité totale de 30 lits, c’est le lieu privilégié pour une nuitée réparatrice.
La journée du lendemain démarre comme celle de la veille: par une montée… Mais en lieu et place de zigzags abrupts, c’est une lente progression sinueuse qui nous permet d’atteindre le sommet du Chasseron – et sa vue panoramique à 360 degrés. Perché sur le toit du Jura, on a tout le temps d’admirer le lac de Neuchâtel et le Léman, mais aussi l’arc alpin qui s’étend sur plus de 250km au sud-est. Troisième plus haut sommet du Jura suisse, le Chasseron a été fréquenté dès la préhistoire; au siècle des Lumières, les botanistes se pressaient sur ses pentes pour y «herboriser» et partir à la découverte de sa faune riche et variée – Jean-Jacques Rousseau y place ainsi un épisode des Rêveries du promeneur solitaire… Du sommet, le chemin continue sur la crête jusqu’aux Avattes, avant de redescendre vers Sainte-Croix à travers forêts et pâturages. Dans les jambes se sont accumulés aujourd’hui près de 800m de grimpette et encore plus de descente, et une bonne vingtaine de kilomètres, qui sont venus s’ajouter aux treize parcourus la veille. Mais le bilan de ces deux jours de randonnée est loin de se résumer à quelques chiffres attestant l’effort consenti.
LE PARCOURS
Il suit deux étapes (10-11) du chemin des Crêtes du Jura, itinéraire national de randonnée No 5: Noiraigue – Les Rochats: 14km, 820m de dénivelé positif/380m de dénivelé négatif, 4h10; Les Rochats – Sainte-Croix: 19km, 780m positif/880m négatif, 5h30.
LA NUITÉE
Café-Restaurant Les Rochats, 1428 Provence, tél. 024 434 11 61, www.lesrochats.com
LE PRIX
Repas du soir, nuit et petit déjeuner: 68 fr./pers.
COMMENT S’Y RENDRE
Transports publics: train CFF jusqu’à Noiraigue et depuis Sainte-Croix, nombreuses correspondances via Neuchâtel/Yverdon-les-Bains.
LE PETIT PLUS POUR ME DÉCIDER
Cuisine de saison et spécialités locales aux Rochats.
RENSEIGNEMENTS