Dossier
Ces plantes qui soignent
On les cultive ou on les cueille en pleine nature, on les utilise pour soulager les maux, on les étudie, on les craint parfois. Depuis la nuit des temps, les plantes médicinales fascinent. Ces connaissances se conjuguent aujourd’hui avec les dernières avancées scientifiques et se partagent sur les réseaux sociaux, sans rien perdre de leur mystère pour autant...
«L’origine du recours aux végétaux est bien plus ancienne que l’humanité»
Véritables trésors de molécules actives, les plantes regorgent de ressources pour leur propre bien-être et le nôtre. Encore faut-il savoir les utiliser… Entretien avec Blaise Mulhauser, biologiste, écologue et directeur du Jardin botanique de Neuchâtel. Il vient de publier «Plantes soignantes. Entre pouvoirs et partages».
Qu’est-ce qu’une plante médicinale?
Je préfère parler de plante de soin, dans le sens où elle agit sur la peau, le corps et l’esprit, et permet de se sentir bien. Elle soigne avant que l’on ne tombe malade, contrairement à la médecine occidentale, qui a pour habitude de traiter un mal qui est déjà là. Le pouvoir des plantes est énorme et l’être humain n’en connaît qu’une infime partie.
Dans une certaine mesure, toute plante n’est-elle pas soignante?
Oui, chacune d’entre elles a une action sur nous, êtres humains ou animaux. Si on l’ingère par voie orale, elle aura un effet sur notre microbiote, soit l’ensemble des micro-organismes qui composent notre flore intestinale. On l’oublie souvent, mais le microbiote est un partenaire incontournable dans l’assimilation des substances que le végétal produit pour se protéger. J’aime bien dire que la plante a sa propre pharmacie sur elle.
Comment expliquez-vous cette incroyable richesse moléculaire des végétaux?
C’est une stratégie de survie, de défense et d’opportunité. Les plantes sont des êtres immobiles, elles ont donc dû développer d’autres astuces que les animaux, notamment pour se reproduire et se disperser. Certaines fleurs, comme le pissenlit, ont recours au vent afin de disséminer leurs graines, d’autres ont développé des parfums de façon à attirer les pollinisateurs. Prenez les buissons de haie indigènes: leurs petits fruits sont parfaitement adaptés au gosier des oiseaux. La plante se donne de la peine! Elle sucre son fruit, le recouvre de flavonoïdes, un puissant antioxydant, et met des tannins qui protègent l’organisme. Ces petits fruits sont là pour que les oiseaux restent en bonne santé et continuent de disséminer les graines grâce à leurs
La science avance, mais elle ne sait rien encore. Alors, restons humbles et ne rions pas des remèdes de grand-mère qui sont parfois très efficaces.
fientes… L’histoire de la plante est toujours liée à cette coévolution. C’est pourquoi l’évolution n’est plus à raconter en lien avec la seule génétique, mais avec l’ensemble du vivant.
Comme l’explique Blaise Mulhauser, les plantes n’ont pas un visage, mais des milliers.
Voilà qui remet en question les théories de Darwin…
Disons qu’une grande partie de la réalité d’un organisme est qu’il doit réagir au jour le jour face à son environnement: changements de température, sécheresse, prédateurs… Ce sont des centaines de molécules qui entrent en jeu. La plante a cette plasticité de trouver des solutions qui peuvent s’inscrire dans son génome. Un saule blessé dans son écorce va développer des substances antifongiques et antibactériennes afin de se soigner. Il est bon de rappeler que la plante les produit d’abord pour elle-même et non pour l’être humain.
Et pourtant, l’humain s’est toujours servi dans cette pharmacopée…
Oui, la découverte d’Ötzi, l’homme préhistorique qui se promenait sur un glacier autrichien il y a 5200 ans, le confirme. On a notamment retrouvé dans sa besace de la poudre de charbon de bois à usage médicinal et d’autres substances, comme le goudron de bouleau, qui lui servaient pour la chasse et la fabrication des arcs. On sait aussi que les grands singes ingurgitent des plantes afin de se soigner. Cela montre bien que l’origine du recours aux végétaux est bien plus ancienne que l’humanité.
Les animaux tirent donc aussi profit de la phytothérapie?
Les chimpanzés mâchonnent parfois certaines plantes amères pour se purger, ce qu’on a pu déduire en observant leurs fèces, qui étaient remplies de vers… Certains récits de chamanes rapportent aussi que les rapaces d’Amazonie se soignent des morsures de serpent en plongeant leur blessure dans le lait du bombardier, un arbre qui appartient à la famille des euphorbiacées…
Pourtant, aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, on oppose souvent médicaments et remèdes de grand-mère. Que s’est-il passé?
Ce sont deux approches différentes de la plante que je ne veux pas opposer. La science médicale, héritée du XVIIIe siècle, se base sur une méthode qui doit pouvoir être reproductible. Elle doit prouver les effets bénéfiques d’un médicament, ainsi que ses éventuels effets secondaires. Dès lors, les industries pharmaceutiques préfèrent les molécules de synthèse, qu’elles ont inventées, brevetées et surtout isolées. Elles n’examinent qu’une seule molécule à la fois, alors qu’une espèce de plante peut en produire 5000 différentes! La science avance, mais elle ne sait rien encore. Elle a peut-être identifié 5% des molécules et ignore leurs interactions. Alors, restons humbles et ne rions pas des remèdes de grand-mère qui sont parfois très efficaces. Il faut les considérer et les étudier, ce que les méthodes scientifiques nous permettront de faire dans certains cas. Les plantes n’ont pas deux visages, mais des milliers, c’est phénoménal!
Directeur du Jardin botanique de Neuchâtel, le biologiste Blaise Mulhauser n’est pas avare en commentaires lorsqu’il s’agit de parler du pouvoir des plantes.
Où se situe la Suisse, lieu de la pharma et de la nature? Cultive-t-on encore le savoir des anciens?
On assiste à un retour de ces connaissances qui ont failli disparaître. Elles ont été sauvées par des personnes comme Germaine Cousin, qui est allée voir en Valais tous les anciens de son village. Elle a recueilli les recettes, les a testées. C’est une source de savoir importante qu’elle a transmise à son fils, également thérapeute.
Alors, a-t-on raison de croire à la phytothérapie?
Oui, mais en même temps, les réalités sont extraordinairement complexes. On a besoin de guérisseurs, de personnes du terroir qui connaissent les lieux. Un chamane amazonien ne pourrait rien faire en Suisse, de même que Germaine Cousin serait perdue en Amazonie… Dans l’histoire de l’humanité, où que l’on se trouve, il s’agit d’une fonction spécialisée autant dans les villages valaisans que dans le désert du Kalahari. Jusqu’à ce que l’on ait acquis toutes les connaissances, mieux vaut se dire que chacun d’entre nous doit y travailler. Il faut une approche communautaire de la santé, se parler, échanger sur les effets des végétaux pour enrichir ce savoir collectif. À chacun de s’observer, d’agrandir sa conscience et de tester des plantes, que l’on sait ne pas être toxiques, bien sûr!
+ D’INFOS Le livre de Blaise Mulhauser, Plantes soignantes. Entre pouvoirs et partages (Éditions PPUR), est aussi disponible en accès libre sur www.epflpress.org