Dossier
D'Instagram aux balades, ils partagent leur savoir ancestral
Créer sa pharmacie familiale à l’aide de plantes: alors que cette pratique, en vogue il y a quelques générations seulement, était tombée en désuétude, elle se popularise aujourd’hui de nouveau, peu à peu. Une tendance que l’on voit notamment circuler sur les réseaux sociaux.
Dominik Ventura Dos Santos est horticulteur de formation, et passionné par l’herboristerie. Morgane Baur, elle, gère la droguerie de la Centaurée, à Fully (VS), et enseigne son métier aux étudiants de CFC. Ensemble, ces adeptes du «kit pharmacie naturelle» organisent régulièrement des balades botaniques où ils partagent leurs connaissances des plantes aromatiques et médicinales, leur biologie et leurs usages. Leur savoir, les deux Valaisans le diffusent également volontiers sur les réseaux sociaux, chacun alimentant une page Instagram. N’y voyez toutefois pas l’oeuvre d’influenceurs, cette activité est avant tout un à-côté. «C’est vrai que nous sommes tous les deux dans cette tendance-là, et nous avons rapidement pensé que nous pourrions faire de petites vidéos ou des contenus du genre, relève Morgane Baur, dont la page porte le nom de sa droguerie. Mais la sphère des réseaux sociaux s’est professionnalisée ces dernières années, et pour faire quelque chose de propre, il faut du bon matériel et respecter certains codes, que nous n’avons pas forcément.»
«Le but, c’est surtout d’éveiller la curiosité des gens», complète son acolyte Dominik Ventura Dos Santos, alias «l’herboriste celtibère». En même temps, il faut dire que depuis quelques années, se soigner au naturel a le vent en poupe. «En Valais, on nous parle souvent de Germaine Cousin, qui est effectivement détentrice et passeuse de ces savoirs-là. Mais quand cette génération sera partie, qui prendra la relève? s’interroge la droguiste. Alors que les anciens disparaissent, ces thérapies-là reviennent au goût du jour. Et Instagram est un bon canal de diffusion, qui permet d’amener ces notions de manière un peu plus trendy.»
BIEN SE RENSEIGNER
Une même plante renferme un grand nombre de principes actifs et peut être administrée pour des symptômes et pathologies divers. S’il en existe plusieurs aux vertus diurétiques, certaines propositions seront plus adéquates que d’autres, selon l’organe touché et le profil de la personne. De plus, il peut arriver que des végétaux s’avèrent plus dangereux qu’il n’y paraît, comme le tussilage, dont l’usage traditionnel contre la toux est maintenant discuté, après la découverte de la présence d’alcaloïdes toxiques pour le foie. C’est pourquoi il s’agit de s’informer correctement, notamment en croisant ses sources. Appeler une droguerie et consulter différents supports ne coûte rien!
PRISE DE CONTACT FACILITÉE
Même sans être des professionnels du numérique, à coup de stories et de quiz, des interactions se créent et l’intérêt pour leurs balades botaniques grandit. «Cela ouvre aussi des collaborations intéressantes, explique Dominik Ventura Dos Santos. On y découvre diverses communautés de passionnés, avec qui il est facile de dialoguer. J’ai par exemple été contacté par un journal français d’aromathérapie et phytothérapie pour contribuer à la définition d’un terme. Cela peut vraiment générer plein de choses, c’est très stimulant!»
Par ailleurs, le jardin fulliérain où nous nous trouvons en est la preuve. Ayant participé à une promenade botanique, Elisabeth Lometti a approché Dominik Ventura Dos Santos et Morgane Baur en leur proposant de mettre à disposition son carré d’aromatiques. Ils sont aujourd’hui venus en reconnaissance, et le tour du propriétaire est à peine terminé que les idées fusent déjà. «Cette parcelle va à coup sûr servir. C’est magnifique!» s’enthousiasment les passionnés. Ce lieu leur permettra d’ajouter à leurs activités une touche plus pratique, avec des conseils concrets sur la création et l’entretien d’un petit potager médicinal. Une idée qui devrait trouver son public, au vu des quelques demandes que «l’herboriste celtibère» a déjà reçues à ce sujet. «À partir de là, nous aurons une proposition vraiment complète: de la reconnaissance et cueillette en milieu sauvage au jardin familial, nous pourrons vraiment exposer notre vision du kit pharmacie maison intelligent (ndlr: lire l’encadré)», complète Morgane Baur.
Elisabeth Lometti et Daniel Reymond (ci-dessus) vont mettre leur jardin à la disposition de Dominik et Morgane dès cet été, pour de nouvelles animations autour des plantes et leurs usages.
RESSOURCES À EMPLOYER INTELLIGEMMENT
Dominik Ventura Dos Santos et Morgane Baur sensibilisent également à une forme d’éthique de la cueillette. En effet, lorsque l’on découvre l’immensité des ressources qui se trouvent à portée de main, des racines aux fleurs en passant par les bourgeons et les graines, il peut vite être tentant d’en récolter dès que l’occasion se présente, ce que la jeune femme appelle «l’effet wow». Or, pour confectionner sa pharmacie familiale, rien ne sert d’avoir de trop grandes quantités en stock – elles finiront par se perdre à la maison. Que cela soit dans la nature ou au jardin, il s’agit de s’écouter en collectant et en semant les plantes selon ses propres besoins, ni plus ni moins.
LES LIMITES DU NUMÉRIQUE
Photos, vidéos et textes explicatifs ne remplaceront cependant jamais la rencontre. Celle entre personnes, et avec la nature. «Quand j’écris sur une story: plante rêche au toucher. Cela veut dire quoi, en fait? En balade, tout prend son sens», image Dominik. C’est pourquoi les deux acolytes utilisent Instagram pour favoriser les rencontres. «C’est primordial, surtout lorsque l’on conseille des usages médicinaux. Ne serait-ce que pour être sûr que l’on se soit bien compris, ce qui est parfois plus difficile lors d’une discussion par messages», explique la droguiste. Car même s’il s’agit de produits naturels, un usage erroné peut être dangereux. «Il y a aussi des limites à instaurer dans ce que l’on peut offrir aux gens, complète Dominik, qui a déjà reçu des demandes de personnes en rémission de maladies graves comme des cancers. Dans ces cas-là, on s’assure que la personne est suivie et on ne s’engage pas, surtout pas par message», précise-t-il.
Et les réseaux sociaux sont aussi la marque de l’instantané, du «tout, tout de suite» , ce qui ne sert pas toujours la cause. «Dans le temps, il y avait dans les villages une personne de référence, souvent une dame, qui maîtrisait les simples et en qui on avait confiance. Aujourd’hui, on a tendance à se dire «j’ai vu quelque part que telle plante est bonne pour tel mal», et s’exécuter sans réfléchir», déplore Morgane Baur. «Utiliser les ressources que la nature a à nous offrir demande de se reconnecter à elle, et avec bon sens.»
+ D’INFOS
Pour ne rien manquer des activités de Dominik Ventura Dos Santos et de Morgane Baur, vous pouvez les suivre sur Instagram: @lherboristeceltibere
et @droguerie.lacentauree