DOSSIER
Le Genevois Pierre-André Magnin est le coordinateur romand de la Charte
des jardins, lancée officiellement en 2010, Année internationale
de la biodiversité.
LES GESTES POUR FAIRE FLEURIR LA NATURE CHEZ SOI
Exit, les gazons propres en ordre, place à des espaces verts plus naturels. Grâce aux explications d’un spécialiste et à nos conseils pratiques, adoptez les bons réflexes qui transformeront vos balcons
et espaces verts en véritables palaces pour la faune
et la flore locales.
Céline Duruz et Aurélie Jaquet
«En favorisant les hérissons, on accueille aussi plein d’autres espèces animales»
Créer un passage dans sa haie pour éviter aux hérissons de traverser la route, limiter l’éclairage nocturne ou choisir des rosiers résistants aux maladies afin de ne pas recourir aux traitements: tels sont quelques-uns des gestes proposés par la Charte des jardins pour favoriser la biodiversité dans nos espaces verts. Le point avec Pierre André Magnin, son coordinateur romand.
Lancée officiellement à Genève en 2010, Année internationale de la biodiversité, la Charte des jardins est un guide en dix points des gestes et pratiques favorisant la nature dans nos espaces verts. Destiné aux jardiniers amateurs, mais aussi aux communes et autres collectivités, ce texte a été élaboré à l’initiative des services cantonaux de l’énergie et de l’environnement. Il ne constitue ni un label ni une liste de règles strictes à observer, mais un engagement moral de ses signataires à aménager et entretenir leur terrain afin d’y favoriser la faune sauvage.
Les points de la charte tout comme son logo mettent l’accent sur les hérissons. Est-ce une manière de toucher le public?
Oui. L’idée est de se concentrer sur de petits animaux sympathiques et d’observer ce dont ils ont besoin pour vivre. Lorsqu’on explique aux propriétaires que les hérissons doivent pouvoir transiter par leur clôture pour éviter de traverser une route, ces derniers se montrent disposés à leur créer un passage, qui permettra également celui des crapauds et d’autres espèces moins populaires mais tout aussi essentielles à la biodiversité. De même, en leur laissant des tas de feuilles ou de bois, cela profitera aussi aux tritons, aux mulots, aux chenilles. En d’autres termes, si vous favorisez la vie des hérissons, vous favorisez aussi celle d’autres espèces. Et votre jardin devient une terre d’accueil pour toute la faune.
Quelles sont les pratiques qui nuisent le plus à la biodiversité dans nos jardins?L’une des plus problématiques concerne l’éclairage nocturne, de plus en plus répandu, qui perturbe fortement la faune. Il y a d’une part les oiseaux qui peinent à trouver des espaces sombres pour se reposer la nuit et de l’autre les espèces nocturnes, comme les chauves-souris ou les papillons de nuit, qui sont dérangés par cette pollution lumineuse. Une situation d’autant plus complexe que nos arbres ont des feuillages de moins en moins denses à cause des sécheresses et des canicules à répétition. Un autre problème récurrent concerne les chats, à l’origine d’une mortalité très importante parmi les oiseaux, les papillons, les tritons ou les lézards. C’est un sujet sensible et très émotionnel, mais il est important de prendre conscience que, du fait de leur forte densité, nos félins constituent une véritable menace pour la petite faune.
«Le fond du problème, c’est la perte de connaissances en sciences naturelles. Aujourd’hui, quand une espèce décline, plus personne ne s’en aperçoit.»
La charte rappelle aussi le rôle essentiel de garde-manger que constituent les espèces végétales indigènes…
Oui. Les plantes exotiques n’apportent souvent pas de nourriture à la faune de nos régions, car celle-ci est adaptée aux variétés indigènes sauvages. En d’autres termes, si vous avez un gazon ras entouré de haies de laurelles et de thuyas, vous ne nourrissez personne. Les mentalités sont toutefois en train de changer. On a longtemps valorisé les jardins proprets, mais aujourd’hui, parce que la nature se fait de plus en plus rare autour de nous, on assiste à un retour de jardins plus sauvages.
On sait la nature résiliente. En appliquant les principes de cette charte, observe-t-on rapidement leurs bienfaits?
Cela peut être effectivement très rapide si l’on vit dans un quartier qui abrite de la faune. La pression démographique chez les oiseaux est importante, ils cherchent en permanence de nouveaux territoires de chasse. Les insectes et les araignées se laissent emporter avec le vent et peuvent aussi facilement recoloniser un espace. C’est souvent spectaculaire.
De plus en plus de gens installent des nichoirs ou des hôtels à insectes sur leurs façades. Est-ce réellement utile?
Ces structures peuvent constituer un soutien pour certaines espèces. Bien sûr, il vaudrait mieux un grand restaurant constitué d’une prairie, mais un hôtel à insectes sur son balcon permet toutefois d’apporter sa petite pierre à l’édifice. Certains oiseaux nichent dans les cavités des vieux arbres. Or notre territoire en compte de moins en moins. Les nichoirs ont l’avantage de combler à certains endroits la perte de ces logements. Il en va de même avec les caisses à hérissons, qui peuvent compenser l’absence de nids naturels.
La charte dit aussi qu’une simple haie peut accueillir une faune très riche. Nul besoin d’avoir un grand jardin pour agir…
En effet, on peut par exemple favoriser des plantes mellifères en pot, comme la lavande, qui résiste en plus très bien à la sécheresse sur les balcons. Ou mettre une soucoupe d’eau à la disposition des insectes et des oiseaux. Chaque geste compte et montre qu’on s’intéresse à toute cette petite faune qui nous entoure. Cela permet de recréer un lien avec cette biodiversité.
Avons-nous perdu cette proximité, ce sens de l’observation de la nature?
Le fond du problème, c’est surtout la perte de connaissances en sciences naturelles. Aujourd’hui, on n’apprend plus à reconnaître la végétation ni les insectes. Donc, quand une espèce décline, plus personne ne s’en aperçoit. Ceux qui observent les chauves-souris déplorent de voir disparaître peu à peu ces mammifères. Mais la plupart des gens ne remarquent pas leur déclin.
L’agriculture est souvent pointée du doigt dans l’usage de pesticides, mais les privés ont aussi leur part de responsabilité…
Oui, et c’est d’autant plus regrettable que les jardiniers amateurs n’ont aucun intérêt financier ou de rentabilité à les répandre dans leur jardin. On préfère parler de produits phytosanitaires, mais les fongicides, herbicides et insecticides sont des «tueurs», au sens étymologique du terme, avec des effets secondaires désastreux.
Cela participe-t-il du même manque de connaissances évoqué plus haut?
On ignore souvent qu’en traitant contre les pucerons, on élimine en même temps les larves de coccinelles, de syrphes et de tout un tas d’autres insectes qui mangeraient à terme ces pucerons. Les hérissons se nourrissent de limaces, d’escargots, de blattes, de tout ce dont on ne veut pas dans un potager. Prenez les papillons, comme le paon du jour et le vulcain: ils ont besoin d’orties, car elles abritent leurs chenilles. Personne n’en souhaite dans son jardin, mais on peut s’engager à en laisser quelques plants pour ces insectes. C’est une manière de faire sa part, comme on donnerait de l’argent à une bonne oeuvre. Et, additionnés, ces petits gestes du quotidien font toute la différence.
Propos recueillis par Aurélie Jaquet
+ D’INFOS www.charte-des-jardins.ch
LE TEXTE EN RÉSUMÉ
Pelouse Laisser pousser une bande d’herbe pour les insectes.
Haies Choisir des espèces indigènes.
Nettoyage Mettre à disposition un tas de bois, cailloux et feuilles pour la faune.
Pesticides Renoncer à leur utilisation.
Éclairage L’éteindre après 22 h.
Hérissons Créer un petit passage dans sa clôture pour faciliter leurs déplacements..
Limaces Renoncer aux produits toxiques.
Plantation Bannir les plantes exotiques envahissantes.
Chat L’équiper d’un grelot pour épargner les oisillons, tritons et lézards.
Déchets végétaux Ne pas détruire les tas de branches lors de la nidification.
Piscine Installer une petite planche de sortie pour la faune.