DOSSIER
ÇA CHAUFFE AU JARDIN
Le changement climatique n’épargne pas la Suisse, et ses effets commencent à se faire sentir, dans les potagers comme ailleurs. Températures en hausse, raréfaction de l’eau, nouveaux phénomènes météorologiques, cette évolution entraîne aussi bien de nouveaux défis que des opportunités inédites pour les jardiniers.
«Le jardin de demain sera naturel, plus respectueux du climat et méditerranéen»
Comment concevoir et entretenir les espaces verts face à la hausse des températures? Paysagiste, journaliste et auteur du livre «Mon jardin s’adapte au changement climatique», paru l’an dernier, Pierre Nessmann donne ses conseils pour devenir écoresponsable, de la gestion de l’eau au choix des plantes.
Que vous soyez jardinier ou non, les stigmates du réchauffement climatique sur la flore ne vous auront pas échappé. Ces dernières années, les jardins d’Europe connaissent des épisodes caniculaires plus fréquents, des températures moyennes toujours plus élevées et une raréfaction de l’eau disponible, affectant durablement les végétaux. Comment faire pour s’adapter à ces nouveaux paramètres, tout en conservant une parcelle esthétique et accueillante au quotidien? Diplômé de l’école d’horticulture de Lullier (GE) et rédacteur en chef adjoint du magazine Rustica, Pierre Nessmann aborde cette question dans un récent ouvrage pratique.
Quand avez-vous commencé à voir l’impact de la crise climatique au jardin?
Il y a vingt ans, je remarquais déjà que la végétation était de plus en plus précoce. Les bulbes à floraison printanière pointaient le bout de leur nez dès le mois de décembre, les bourgeons des rosiers débourraient en janvier et les chutes de feuilles étaient toujours plus tardives. En tant que jardinier, j’étais très interpellé. Puis la population s’est mise aussi à remarquer ces changements, notamment durant les canicules successives survenues à partir de 2015. Depuis quelques années, la prise de conscience s’est généralisée. Désormais, la conception des espaces verts, les modes de jardinage, le choix des végétaux et la gestion des ressources naturelles évoluent grandement.
La pelouse est particulièrement pointée du doigt, car très gourmande en eau…
Effectivement. Il vaut mieux lui préférer des végétaux tapissants et endurants comme l’armoise, l’achillée de Grèce et l’épiaire de Crête, ou des minéraux tels que le gravier, le sable et les galets, associés à de la prairie fleurie. L’idée est de mettre en place plusieurs zones distinctes afin d’avoir une gestion différenciée du terrain, en fonction de ce qu’on veut y faire. Cela induit une autre utilisation de l’espace. On peut imaginer un coin d’herbe tondue pour pique-niquer et un autre plus minéral pour se promener. Cette richesse de biotope rendra la parcelle plus résistante à la chaleur et plus économe en eau. Il faut redéfinir l’idée même de jardin, afin d’être davantage écoresponsable.
«En Suisse, les jardiniers qui travaillent aux abords du Léman bénéficient d’un large choix d’essences résistantes venues du sud.»
Quels autres aménagements peuvent être effectués dans cette même dynamique?
Tout ce qui concerne le stockage et la récupération des eaux de pluie et de ruissellement est précieux en période de sécheresse. On peut ainsi installer un bassin de rétention ou une mare, qui conjuguent efficacité et esthétisme. Il est également important de prévoir des zones d’ombre, grâce à la présence de grands arbres. Il y a quelques années, on aurait eu tendance à les abattre par réflexe afin d’avoir davantage de lumière. Aujourd’hui, ce n’est plus d’actualité. Ces végétaux sont nos alliés, car ils permettent de maintenir une fraîcheur favorable à la flore alentour, tout en offrant une atmosphère respirable pour les usagers du lieu.
Remplacer certaines de nos plantes par des espèces plus résistantes s’avère aussi nécessaire. Mais comment bien les choisir?
Il est vrai que depuis quelques années, de nombreux végétaux répandus dans nos plates-bandes souffrent de la chaleur durant l’été. Je pense notamment aux hortensias ou aux arbustes d’ornement comme le forsythia, le seringat ou le troène, qui se déshydratent et deviennent vulnérables face aux parasites et aux maladies. Avec la hausse des températures, il est tentant de planter davantage d’essences exotiques. Or, la plupart ne résistent pas à notre climat d’Europe continentale, qui continue malgré tout de connaître des hivers froids. Les essences méditerranéennes – provenant des Alpes du Sud, des montagnes de Corse ou de Grèce – sont les plus adaptées, car elles supportent à la fois l’aridité et le gel.
Avez-vous des exemples?
Pour les arbustes, il y a l’arbousier, le filaire, le laurier rose ou la germandrée arbustive, qui est très robuste et a un beau feuillage argenté. Du côté des arbres, le cyprès de Provence, l’olivier et le chêne vert – largement présent en Espagne, au Maghreb et en Italie – se plaisent beaucoup sous nos latitudes. Quant aux fleurs, j’ai pour ma part banni les annuelles, pour leur préférer des vivaces comme la sauge ornementale, le millepertuis grec, le romarin, l’euphorbe de Corse ou le thym camphré, beaucoup plus rustiques et moins gourmandes en eau.
Les espèces méditerranéennes se plaisent-elles en Suisse?
Bien sûr, particulièrement au bord du Léman, qui bénéficie d’un climat très doux. Dans cette zone, les paysagistes ont le choix parmi une large gamme d’essences venues du sud, ce qui facilite leur travail. C’est moins le cas pour ceux situés en altitude, par exemple dans les cantons de Fribourg et du Jura. Pourtant, ils restent tout autant concernés par ce phénomène. Entreprendre la démarche d’adapter son jardin au réchauffement climatique est nécessaire dans toutes les régions. Chaque jardinier, amateur ou professionnel, a un rôle à jouer pour maintenir une végétation saine et épanouie.
Une telle approche nécessite-t-elle plus de travail?
Bien au contraire! En sélectionnant des espèces résistantes, il n’y a plus besoin d’arroser, sauf lors de la mise en terre. Les plantes survivent alors de manière autonome en puisant de l’eau en profondeur grâce à leur système racinaire, qui se renforce. Il existe d’autres moyens de favoriser leur bien-être, comme les planter à l’automne plutôt qu’au printemps. Ainsi, elles profitent de plusieurs mois pour s’acclimater avant les grosses chaleurs de l’été. Enfin, la technique du paillage est indispensable pour empêcher l’évaporation de l’eau et apporter des éléments nutritifs, ce qui permet aussi de valoriser les déchets de taille et de tonte, tels que des écorces ou des végétaux broyés. Ce mode de jardinage économe et vertueux doit devenir une systématique.
Finalement, à quoi ressemblera le jardin de demain?
Il sera naturel et moins apprêté que certains types d’aménagements qui ont pu être à la mode ces dernières années. L’esthétique de la spontanéité est dans l’air du temps, contrairement aux jardins à la française qui sont beaucoup plus organisés. Et heureusement! Aujourd’hui, le gazon laisse place aux prairies bohèmes et aux herbes folles. La végétation est foisonnante et moins contrôlée. Le jardinier se repose davantage sur les capacités de la nature à s’autoréguler, tout en entretenant un lieu qui reste beau, accueillant et poétique. Depuis cinq ans, je constate un réel engouement pour ce type d’espaces verts plus respectueux du climat, surtout auprès de la jeune génération. De plus en plus de parcs publics, jardins botaniques et amateurs s’en inspirent. Cette évolution va dans la bonne direction.
COMMENT SE PRÉPARER À UNE CANICULE
• Éliminer une partie des branches sur les arbustes. Cela permet de limiter la déperdition d’eau par le feuillage.
• Protéger les plantes du soleil, en les éloignant des murs clairs et des baies vitrées ou en les recouvrant d’une toile à ombrer.
• Couper les fleurs, afin d’économiser l’eau puisée dans le sol par les racines.
• Lutter contre les ennemis, à l’aide d’un traitement fongique préventif associé à un insecticide d’origine naturelle.
• Ameublir la terre pour faciliter l’infiltration de l’eau de pluie et d’arrosage.
Des propos recueillis par Lila Erard
+ D’INFOS Mon jardin s’adapte au changement climatique, Pierre Nessmann, Éditions Delachaux et Niestlé, 160 pp., 33 fr. 90.