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ENTLEBUCH, PASTORALE HELVÉTIQUE


C’est une région qui ne ressemble à aucune autre: avec ses douces collines, son agriculture à la fois traditionnelle et pleinement ancrée dans son époque, ses trésors naturels et son pari gagné de la promotion d’un tourisme durable, l’Entlebuch (LU) est un concentré de Suisse.

L’Entlebuch, petit paradis rural préservé

Seule région de Suisse à avoir obtenu le statut de Biosphère de l’Unesco, l’Entlebuch (LU) est un exemple unique en son genre: protection du patrimoine naturel et agriculture traditionnelle se côtoient au profit de tous. Nous vous emmenons à la rencontre de quelques producteurs qui font vivre cette région.

 

Peu de lieux donnent autant que l’Entlebuch cette impression d’avoir plongé tout entier dans un livre d’images: avec ses douces collines, ses forêts où l’on doit se frayer un chemin entre les myrtilliers, ses fermes de carte postale et son atmosphère paisible, cette vallée lucernoise semble être née de l’imagination d’un illustrateur du siècle dernier. Sur la route principale qui longe la Kleine Emme d’un bourg à l’autre, il y a certes quelques voitures et des motards en quête de courbes pittoresques, mais il y a surtout pléthore de tracteurs, de bétaillères et de faucheuses en tout genre, témoignant de la vivacité du secteur agricole dans ce territoire de 390 km2.

 

«Le statut de biosphère draine des visiteurs du monde entier. C’est génial de voir à quel point les gens sont impressionnés par le paysage.»

 

Un territoire où se côtoient zones naturelles strictement protégées (lire l’encadré en page 45), domaines de plaine et petites fermes de montagne. La Schottenhof de Renate et Andreas Wyss, à Lochsitli, entre dans cette seconde catégorie. Après avoir abandonné la production laitière et avoir fait le choix du bio, il y a huit ans, le couple a décidé de replanter des pommes de terre. «J’ai repris l’exploitation en 2000, raconte celui qui préfère qu’on l’appelle Andy. Je tenais à revenir à une plus grande diversifi cation, à une agriculture telle que la pratiquait mon arrière-grand-père.» Aujourd’hui, près de 80 vaches highland et quelques chèvres pâturent sur le domaine, qui commercialise l’essentiel de sa production de viande en vente directe.

ENTRE CHAMPS ET PISTES DE SKI

Cultiver des patates à une altitude de près de 1400 mètres représente un vrai défi . «On m’a dit que je n’avais aucune chance, se souvient Andy en nous emmenant derrière la ferme, où une grande parcelle est consacrée à ces tubercules. Mais la suite nous a donné raison. Je mise sur une rotation des cultures entre l’herbe, l’épeautre et la pomme de terre. Et j’ai construit une bonne partie des machines que j’utilise, notamment pour semer les tubercules.» Dans le vert éclatant du feuillage, des centaines de fl eurs font des taches blanches, rosées ou violettes. «Elles poussent bien, se réjouit l’agriculteur. Il y a une certaine pression des doryphores cette année, mais la récolte sera bonne.» La première année, la famille Wyss a produit une tonne de patates. Cet automne, elle devrait en sortir de terre cinq fois plus, à partir de cinq variétés: les classiques victoria et erika, mais aussi l’agria, la ditta et la si photogénique bleue de Saint-Gall. La plupart des tubercules seront destinés à des restaurants de la région, notamment celui de Marbachegg, à quelques centaines de mètres au-dessus de la ferme, où ils sont prisés en accompagnement de la raclette. Parce qu’en hiver, la Schottenhof se retrouve au coeur d’un grand domaine skiable, où Andy travaille en tant que conducteur de dameuse.

DE L’ÉPEAUTRE EN CIRCUIT ULTRACOURT

Les nuages se dissipent, laissant apparaître en contrebas la vallée et les prés qui s’étendent à perte de vue. Depuis quelques années, la famille Wyss partage ce panorama exceptionnel avec des visiteurs de passage: ils ont développé une o! re agritouristique qui connaît un franc succès. «Le statut de Biosphère de l’Entlebuch est un bel argument, note Andy. Cela draine des visiteurs du monde entier dans la région. La semaine dernière, un groupe de Japonais est passé à la ferme. C’est génial de voir à quel point les gens sont impressionnés par le paysage. Ça fait du bien, et ça nous rappelle que, même si nous sommes parfois blasés parce que nous avons grandi dans le coin, nous avons une chance folle de vivre ici.»

La cloche de l’église de Schüpfheim sonne trois coups. Un timide rayon de soleil baigne le village situé en plein centre de l’Entlebuch. «Autrefois, tous les paysans du coin avaient une petite parcelle d’épeautre, note Beat Emmenegger en s’approchant de la parcelle où les épis dorés se dressent sous le ciel lourd. Puis cela s’est perdu.» C’est en 2009 que l’agriculteur, qui élève par ailleurs des vaches laitières et des porcs en plein air, a choisi de semer de nouveau de l’épeautre. Quatorze ans plus tard, il officie comme répondant pour les dix exploitants de la vallée qui l’ont suivi dans cette voie. «On compte environ 13 hectares d’épeautre dans l’Entlebuch», détaille-t-il alors qu’il se penche sur un épi, cueille un grain, le fait délicatement tourner entre ses deux paumes afin de détacher l’enveloppe de la graine, qu’il croque. «Il est presque prêt. On le moissonnera la semaine prochaine.»

 

«Pour cultiver de la zyberli, on a dû aller chercher des arbres en Forêt-Noire, où quelques pépiniéristes multiplient encore cette variété.»

 

La culture de cette céréale ancienne demande de la vigilance, mais relativement peu d’interventions de la part de l’agriculteur. Il a opté pour un semis d’automne, ce qui permet aux plantes de pousser rapidement dès les premiers beaux jours, évitant la concurrence de l’herbe. La moisson s’effectuera avec une machine spécifique, qui permet de travailler les parcelles parfois escarpées de l’Entlebuch. «Il y a certaines zones que l’on doit même moissonner à la main», note Beat. La paille sera utilisée dans son exploitation. Quant aux précieux grains, ils seront moulus à quelques centaines de mètres à peine. «Vous voyez le silo qui dépasse derrière ce repli de terrain? C’est le moulin.» Difficile de faire plus local! Direction donc les installations de la famille Wicki, qui emploie une dizaine de personnes au sein de ce qui est l’un des plus anciens moulins encore actifs de Suisse. Ici, on stocke l’épeautre et on le moud à la demande. «Cette céréale se travaille un peu différemment du blé, note Guido Wicki. Mais ce n’est pas franchement compliqué. On fournit en farine les boulangeries de la région, et l’entreprise Fidirulla, qui fabrique des pâtes à Schüpfheim.»

PETITE PRUNE, GRAND SUCCÈS

Dernière étape à la pointe nord-ouest de la Biosphère de l’Entlebuch, pour laquelle nous nous faufilons dans l’une des vallées latérales, nous éloignant des flots paisibles de la Kleine Emme. Le paysage se fait encore plus vallonné et boisé, les villagess’accrochent au flanc des collines que coiffent les clochers des églises. C’est là, du côté de Romoos, que l’on cultive une prune autrefois prisée avant de tomber dans l’oubli. Zyberli, ainsi appelle-t-on ce petit fruit dont la taille rappelle une mirabelle, et dont la robe va du bleu au jaune. Selon la fiche que l’association pour la promotion des variétés fruitières anciennes Fructus lui consacre, Prunus insititia est une prune sauvage originaire d’Europe centrale et connue depuis 800 ans avant notre ère. Mise à mal par la concurrence de prunes plus productives et plus goûteuses, la zyberli a totalement disparu de l’Entlebuch. C’est grâce à Franz Koch qu’elle y est revenue: «Voilà une vingtaine d’années, une association s’est créée pour favoriser le retour de la zyberli, raconte l’agriculteur, qui élève des vaches allaitantes sur son exploitation d’Unteralpetli, nichée à 860 mètres d’altitude juste en face du village de Romoos. J’ai accepté la proposition de planter quarante arbres sur mon domaine. On a dû aller les chercher en Forêt-Noire, où quelques pépiniéristes multiplient encore cette variété.»

Son chien sur les talons, Franz Koch fait le tour de ses arbres, examinant les fruits encore verts qui se cachent parmi les feuilles. «Il faut être patient, souffre-t-il. La récolte se fait après les premiers gels, dès la fi n du mois d’octobre.» Ensuite, pas question de croquer dedans, l’acidité ferait grimacer le plus téméraire des gourmands: la zyberli est une prune de distillation. Franz en fait un schnaps recherché, une de ses collègues réalise une liqueur que les chefs du coin aiment travailler dans leurs desserts, tandis que des sirops et des confitures fleurissent sur les étals des épiceries de l’Entlebuch. Le tout est coordonné et commercialisé par l’association Zyberliland, qui a fait naître un véritable engouement dans la région de Romoos autour de cette mystérieuse culture: sentiers thématiques, places de jeu, livres pour enfants consacrés à la zyberli, ce petit fruit est partout.

LE LABEL LOCAL CARTONNE

La marque Echt Entlebuch, destinée à mettre en valeur les produits de la Biosphère, a connu un succès fulgurant sitôt lancée: elle est d’abord apparue sur des produits laitiers, puis sur les salaisons, les spécialités de boulangerie, les confitures ou les liqueurs. Aujourd’hui, près de 500 articles portent le label Echt Entlebuch. La liste ne se cantonne plus aux seules denrées alimentaires, mais comporte aussi des produits faits à base de bois de la région, comme des bardeaux ou des meubles.

L’AGRITOURISME COMME RELIGION

Romoos et sa prune ne sont pas un cas isolé: dans tout l’Entlebuch, l’agritourisme fait fi gure de religion. L’aura de la Biosphère attirant des visiteurs du monde entier, la vallée n’a pas attendu pour développer ses arguments en la matière. On pourrait citer la fromagerie de Marbach, avec sa visite guidée interactive et son sentier pédagogique menant jusqu’à une exploitation familiale qui la fournit en lait de bufflonne, mais aussi le fait que chaque ferme ou presque, à une échelle plus modeste, pratique la vente directe, propose une offre de Bed&Breakfast, voire un hébergement insolite, parfois en plein champ, avec vue sur les étoiles – elles sont bien visibles, en raison de la faible pollution lumineuse. Plus largement, ces exemples témoignent du dynamisme d’une région qui a su exploiter sa topographie, profitant pleinement du potentiel de ce concept de Biosphère pour faire coïncider nature, agriculture et tourisme durable. Alors que l’on s’éloigne des arbres de Franz, on débouche au sommet d’une crête d’où le paysage s’ouvre soudain. La silhouette des trois géants des Alpes bernoises, l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau, drapés d’un manteau de neige, se dessine sur le bleu du ciel. En contrebas, les collines de l’Entlebuch se succèdent à l’infini, comme dans un livre pour enfants.

 

Oriane Grandjean

LA BIOSPHÈRE, C’EST QUOI?

C’est en 2001 que l’Entlebuch a accédé au rang de Biosphère de l’Unesco. Ces zones doivent non seulement préserver la biodiversité, mais aussi répondre aux besoins d’une population humaine en expansion: l’objectif est d’y développer une agriculture, une sylviculture et un tourisme durables. Cette démarche est une conséquence directe de l’initiative dite de Rothenthurm, destinée à la préservation des marais, acceptée une dizaine d’années plus tôt: s’il y avait une région où cette décision avait une importance particulière, c’était bien l’Entlebuch, dont le territoire comprend certaines des plus grandes tourbières de Suisse. Plutôt que d’y voir un frein au développement de l’endroit, plusieurs personnalités locales lancent l’idée de devenir unebiosphère. Ce changement permet à une région qui avait longtemps vécu de l’extraction de la tourbe de devenir un exemple en matière d’énergie renouvelable. Sur les collines qui entourent le village d’Entlebuch, trois éoliennes tournent à plein régime. La ville a obtenu le label Cité de l’énergie Gold. On y trouve par ailleurs la première fromagerie autosuffi sante en énergie du pays.