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UN VIN ROUGE ALPIN

Mais l’amigne n’est pas le seul cépage à être cultivé uniquement en Valais. Il y a aussi la durize, dont Fully est l’un des lieux de prédilection. Originaire du val d’Aoste comme le cornalin, dont il est un lointain parent, ce cépage occupait au XIXe siècle près de la moitié des surfaces viticoles de la commune, avant de laisser la place au pinot noir et au gamay. Ce n’est que dans les années 1970 que celui qu’on appelait autrefois le rouge de Fully a fait son retour en grâce,

 

«Mon père souhaitait conserver ce patrimoine, alors il est allé chercher d’anciens greffons de durize.»

 

notamment grâce au père d’Henri Valloton. Justement, nous voilà chez le fameux vigneron, ravi de nous compter son histoire familiale. «Mon père souhaitait conserver ce patrimoine, alors il est allé chercher d’anciens greffons. Aujourd’hui, nous en cultivons plus de 3000 mètres carrés, et d’autres s’y sont mis dans la région», narre-t-il en se promenant sur son pittoresque domaine bio de la Combe d’Enfer. Si cette variété a des récoltes assez hétérogènes d’année en année, elle résiste bien aux champignons comme l’oïdium et s’adapte particulièrement bien au réchauffement climatique. «Avec les fortes chaleurs, il y a moins d’alternance et les vendanges sont plus stables», remarque-t-il en sillonnant entre les rangs de vigne, qui ont été plantés au soleil couchant pour profiter d’un ensoleillement maximum. La différence avec le cornalin? La durize a de plus grosses grappes et des grains à la peau plus dure, d’où son nom issu du latin duracèna, formé de durus (dur) et acinus (baies). Henri Valloton en tire un vin rouge alpin et rustique, tout en étant très digeste et assez peu alcoolisé. «C’est assez spécial en matière d’arômes et de structure, avec des notes de pruneaux cuits, de poivre de cayenne, de sous-bois et de vanille au nez. C’est idéal en été avec des grillades», assure-t-il. Si quelques cuvées peuvent avoir une certaine amertume les premières années, celle-ci s’estompe avec le temps, pour s’arrondir et acquérir des saveurs de fraise des bois et de cerise. «Il faut savoir être patient, c’est aussi ça la beauté du métier.»

FÉDÉRER LE PUBLIC AUTOUR D’UN CRU

Spécialité valaisanne, l’amigne est notamment mise à l’honneur par le Groupement des encaveurs de Vétroz, qui propose une classification des cuvées en fonction du taux de sucre résiduel – avec des logos allant d’une à trois abeilles – et organise de nombreux événements, comme des soirées massage et dégustation. «Le public rajeunit, c’est une bonne nouvelle», relève le vigneron vétrozain Vincent Papilloud, qui ouvrira d’ici peu une cave plus moderne dans le village afin d’accueillir le public.

CÉPAGE VENU DE SAVOIE

Sur ces sages paroles, nous continuons notre périple en direction de l’arc lémanique, plus particulièrement de Lavaux, où nous attend Vincent Chollet. Baptisé Mermetus, son domaine bio de sept hectares à Aran-Villette (VD) surplombe majestueusement le lac, offrant une vue imprenable sur l’autre rive et la France. Un panorama en adéquation parfaite avec le thème du jour, puisque c’est précisément de Savoie qu’est originaire l’un des cépages préférés de notre hôte: la mondeuse noire. Si cette variété présente depuis l’époque romaine a longtemps été l’une des plus importantes de la région, elle a peu à peu disparu des coteaux de Lavaux, notamment à cause de la crise phylloxérique. «Ce ravageur venu des États-Unis a détruit les vignobles européens à la fin du XIXe siècle. Ce n’est qu’environ cent ans plus tard que mon père Henri a importé de nouveaux plants de Savoie. C’était un pionnier», retrace le vigneron, qui a repris le domaine en 2010. Aujourd’hui, il y cultive 5000 mètres carrés de mondeuse sur des terrains sableux et profonds issus des moraines glaciaires. «Ainsi, ce cépage rustique résiste bien aux longues périodes de chaleur et de sécheresse. Une vendange tardive est idéale pour lui laisser prendre le goût de l’automne.» À ce moment-là, les grains les plus gros sont transformés en vin rosé, et les plus concentrés en vin dit du Bacouni, en référence aux anciens bateliers des rives suisses du Léman. Vincent Chollet le décrit comme suit: une robe pourpre à reflets violacés, un nez complexe de raisin mûr et d’épices, ainsi qu’une bouche légère, tannique et sensuelle. On confirme. «Ses vertus diététiques sont aussi intéressantes, puisque son taux d’alcool ne dépasse que rarement les 12%, même avec les fortes chaleurs dues au réchauffement climatique. Il accompagne idéalement aussi bien les plats gastronomiques sophistiqués que les spécialités du sac à dos», aime-t-il à répéter.

UNE RARETÉ À PRÉSERVER

En parlant de sac à dos, nous voilà de retour sur la route. Changement de décor – et de lac –, à notre arrivée dans le Vully. Ici, l’influence germanique se ressent jusqu’au nom du cépage typique de la région: le freiburger, issu d’un croisement entre un sylvaner et un pinot gris obtenu en Allemagne, à Fribourg-en-Brisgau, en 1916. Désormais principalement cultivé dans la région, il a été importé par le papa de Jean-Daniel Chervet dans les années

 

«Le freiburger se rapproche du chasselas, mais en plus riche. On n’en trouve qu’une vingtaine d’hectares dans le monde.»

 

1950. Il semblerait que les cépages rares soient, très souvent, une histoire de famille… «Ça, c’est sûr, confirme le vigneron, installé à Praz (FR), au bord du lac de Morat. Mon père Louis a découvert cette variété en Allemagne durant un stage et a décidé de la planter chez nous. Aujourd’hui, sa vigne est encore en production, c’est assez exceptionnel!» Ces dernières semaines, l’artisan et son équipe ont effectué un grand travail d’effeuillage, le freiburger s’avérait assez touffu et composé de nombreuses petites feuilles. «C’était un sacré labeur. En revanche, il est très régulier avec environ 750 grammes de raisin par mètre carré, ce qui est très correct», dit-il. Comme d’autres cépages, ce dernier a pour l’instant profité du réchauffement climatique pour s’épanouir encore davantage dans la molasse des sols du coin. Jean-Daniel Chervet en propose un vin blanc sec expressif et racé, avec une bonne acidité et des notes de fleur d’acacia, coing et fruits de la passion. «Cela se rapproche du chasselas, mais en plus riche. J’y suis attaché, car c’est une rareté. On n’en trouve qu’une vingtaine d’hectares dans le monde», affirme-t-il. Dans le Vully, les producteurs de freiburger se sont rassemblés sous une charte de façon à garantir une qualité homogène. Plus récemment, l’État de Fribourg en a même planté et a proposé son premier millésime en 2021.

RETOUR EN GRÂCE

La sixième et dernière étape de ce road trip nous mène bien plus au nord, à Laufen-Uhwiesen (ZH). En cette fin de journée, nous sommes à quelques encablures des chutes du Rhin, un lieu caractérisé par un microclimat et un sol sableux appréciés de l’un des plus vieux cépages au monde, nommé le räuschling. S’il a été longtemps cultivé dans la région allemande de Landau – où il est mentionné pour la première fois en 1546 –, il a aujourd’hui quasiment disparu de son terroir d’origine et ne se trouve plus qu’en Suisse alémanique. Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance, rappelle Nadine Besson-Strasser, qui a repris le domaine familial en 2009. «Il a longtemps eu une mauvaise réputation, la récolte pouvant parfois être réduite de moitié en cas de printemps pluvieux. De plus, les gens le trouvaient très acide et disaient qu’il était idéal pour laver les vitres», rigole-t-elle. Remplacé dans les années 1980 par du riesling-sylvaner, il est aujourd’hui redevenu une spécialité appréciée des vignerons – car résistant à la sécheresse, au mildiou et au bostryche – et des consommateurs. «Il est frais, minéral et délicat, avec des notes de citron. J’aime beaucoup le déguster avec du poisson, puisque nous sommes au bord du Rhin», souligne la vigneronne en biodynamie. Celle-ci le décline en trois versions: blanc, fumé et mousseux. Mais que peut bien signifier räuschling? «Certains disent qu’il s’agit du bruit du vent qui passe au travers du feuillage dense. Mais je laisse à chacun sa propre interprétation», répond-elle en souriant. D’ici à quelques semaines, il sera l’heure de vendanger et Nadine Besson-Strasser espère que le beau temps perdurera. «La pluie peut faire éclater et pourrir le raisin, mais ne parlons pas de malheur. Pour l’instant, les vignes sont magnifiques. C’est bon signe.» Un présage l’on souhaite à tous celles et ceux qui ont croisé notre route, pour qu’ils continuent à faire perdurer les cépages qui raconte l’histoire du vignoble suisse, génération après génération.

Lila Erard