SAVEURS
Les Margot, cinq générations d’affineurs de gruyère
En 1886, Jules Margot lançait son commerce de fromages à L’Auberson (VD). Aujourd’hui, ses arrière-arrière-petits-fils Gilles et Anthony font rayonner le gruyère dans le monde.
Dans l’entreprise Margot, à Yverdon-les-Bains (VD), le gruyère est partout, du paillasson aux tableaux ornant les murs des bureaux. Pendant des mois, les meules se bonifient ici, dans les caves naturelles de la dernière société d’affinage privée et familiale du pays. Dix pour cent de la production du pays y séjournent quelques mois. «Nous affinons 100 000 meules de gruyère AOP par an, venant de 22 producteurs des cantons de Vaud, Fribourg et Neuchâtel et de quatre alpages du Jura vaudois», explique Gilles Margot.
Cette année, les deux frères ont doublé la capacité de leur cave, en reprenant celle de Froideville (VD), asseyant encore un peu plus leur position d’acteurs incontournables du marché du fromage helvétique. En cent trente-trois ans d’existence, leur société a traversé deux guerres mondiales, mais aussi vécu des crises de surproduction. Le goût pour le gruyère, lui, est resté intact. «Ce fromage est inimitable! estime Anthony. Qu’il soit d’alpage ou de plaine, son caractère change à chaque fois. Son goût est lié aux saisons, à l’herbage, qui doit provenir à 70% des fermes, chaque producteur crée des gruyères uniques.» Pour le commercialiser, les frères Margot avouent que l’histoire du produit les aide beaucoup. «Les gens se renseignent sur l’origine de ce qu’ils achètent, cela les rassure. Le gruyère est en ce point exemplaire, poursuit Anthony. Le bien-être des vaches est réel, les conditions de fabrication typiques. Pas besoin de vendre du rêve, il se confond ici avec la réalité.»
Aujourd’hui numéro 1 des fromages du pays, le gruyère n’est toutefois pas dégusté de la même façon de part et autre de la barrière de rösti: les Alémaniques le préfèrent doux, affiné six mois, alors que les Romands l’aiment corsé, après douze mois passés à l’ombre, voire quatorze, lorsqu’il arrive à pleine maturité. Son succès dépasse même les frontières. Les Margot en écoulent près de 4000 tonnes par an sur quatre continents, notamment en Russie, comme le faisait déjà Jules au XIXe siècle.
CÉLINE DURUZ
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ÉCONOMIE DU GRUYÈRE
Plus de 30 000 tonnes de gruyère ont été fabriquées en Suisse par 2200 producteurs en 2018, livrant le lait à l’une des 161 fromageries de l’interprofession, situées dans les cantons de Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Jura, Berne, Zoug, Soleure et Saint-Gall. L’ascension de ce fromage est fulgurante: en 1988, la production totale ne s’élevait qu’à 19 000 tonnes. Aujourd’hui, les Suisses en consomment près de 15 000 tonnes par an. L’an dernier, 7689 tonnes de gruyère ont été exportées en Europe, 3500 aux États-Unis.
CINQ SIÈCLES D’HISTOIRE
C’est le fromage suisse par excellence. Et pourtant, il n’est pas si ancien. Le gruyère apparaît au XVe siècle sur les alpages de l’ancien comté du même nom, faisant la richesse de familles fribourgeoises. Il aurait inspiré les créateurs du sbrinz, de l’emmental, du Berner Alpkäse ou encore du comté. Il est protégé depuis 2001 par une appellation, qui n’est cependant pas reconnue dans le monde entier. L’interprofession lutte pour qu’il ne devienne pas un terme générique comme l’emmental.
ACCORD FROMAGE-BIÈRE
Comment mettre en valeur un gruyère salé? «En l’associant avec une bière blonde de type Pilsener ou Kölsch légèrement miellée, note le sommelier de la bière Cyril Hubert. Leur effervescence nettoie une partie du gras et du salé en bouche.» «La Rivale de la brasserie des Trois Dames se marie bien avec ces fromages, ajoute son collègue Jürg Aeschbacher, comme la Stirling de la Nébuleuse pour le gruyère d’alpage.» Pour les vieux gruyères, les spécialistes conseillent une IPA aromatique et amère ou une Brunette de Boxer.